Infinite Now : voilà un titre énigmatique et mystérieux, certes, mais qui dit en réalité énormément sur cette oeuvre scénique atypique. Car le troisième opéra de Chaya Czernowin n’est pas un opéra comme les autres, bien au contraire. C’est en vain qu’on y cherchera les traditionnelles intrigues, bel canto et autre alternance récitatif/aria/ensemble vocal. On y trouvera en revanche tout le lyrisme, la tension narrative, la poésie et l’émotion nécessaires – présentés sous un jour singulier.
Ici, le décor planté ne figure pas un monde en miniature, mais bien plutôt l’intérieur d’une âme/cerveau/boîte crânienne. Dans ce contexte, le rôle de la musique n’est plus simplement de souligner le drame et d’en tirer la quintessence de l’émotion : elle devient véritable vecteur de l’action, tel un fil de pensées (à l’image d’un « stream of consciousness ») qui subit et réagit aux diverses pensées, sentiments et événements auxquels ladite âme est confrontée.
En guise de sentiment, c’est surtout une angoisse : celle de l’imminence d’une catastrophe. En l’occurrence, deux catastrophes hantent ce crâne-là, puisque Luk Perceval (librettiste et metteur en scène) fait dialoguer trois textes, par-delà les époques et les frontières : des lettres de soldats, des extraits de À l’Ouest, rien de nouveau d’Erich Maria Remarque et la nouvelle Retour au pays de Can Xue, écrivaine chinoise que beaucoup comparent à Kafka et Borges. D’un côté, c’est l’enfer, bien réel, du premier conflit mondial et, de l’autre, celui, fantastique et fantasmé, d’une impossibilité d’avancer, tout en sachant que cet immobilisme condamne à une mort certaine.
« Ces textes servent de métaphores pour les obstacles qui se dressent en travers de notre chemin dans la vie, dit Chaya Czernowin : c’est tout une poétique de notre réalité politique et de l’Histoire avec un grand H que, je l’espère, la musique fera jaillir dans le présent du spectacle. Sachant que, quoi qu’il se passe, la musique subsistera, la vie continuera, le monde poursuivra sa course. Finalement, en dépit des apparences, c’est une œuvre fondamentalement optimiste ! »
Les enjeux technologiques
L’électronique, ici, est un outil de poétique sonore. Celle-ci s’exprime notamment par les nombreuses séquences sonores préfixées, réalisées par la compositrice et Carlo Laurenzi, qui ponctuent l’ouvrage : un travail d’orfèvre pour assembler des sons et des bruits parfois extrêmement ténus, voire inaudibles – chuchotements, frôlements, grattements – émergeant d’un silence obscur.
Le principe étant de transformer le théâtre en boîte crânienne, la spatialisation représente une grande partie de travail – afin de créer un choc poético-psychologique, d’éveiller la conscience des spectateurs à certains aspects de la musique et de la mise en perspective des textes.
Expériences passées à l'Ircam
Winter Songs I: Pending Light (2003) pour ensemble et électronique
HIDDEN (2014) pour quatuor à cordes et électroniques - avec Carlo Laurenzi, déjà, ce qui fut l'occasion de développer un vocabulaire commun.
Par Jérémie Szpirglas, journaliste et écrivain
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